Le site de la rue Antoine Marin, une aventure humaine racontée par l’architecte Catherine Carpentier
Retrouvez notre reportage sonore sur le nouveau quartier d’ Arcueil à la Vache Noire dans l’émission Culture locale .
Articles et photographies réalisés par Catherine Carpentier.
Le nouveau site
Des milliers de m² se sont bâtis ici en moins de dix ans. Ce bâtiment est le dernier à être érigé sur cette ZAC (Zone d’Aménagement Concerté). Avec lui va s’achever une histoire de près de quinze ans sur ce site. Les derniers ouvriers vont partir, remplacés par les habitants ; la « Voie Nouvelle Est » va enfin s’ouvrir à la circulation, la vraie et non plus celle du chantier, et ainsi prendre le nom d’Antoine Marin. Les petits bistrots et restaurants du quartier, qui ont joui d’une manne providentielle grâce à la clientèle que furent les ouvriers, les conducteurs de travaux, les maîtres d’œuvre et maîtres d’ouvrage, vont devoir opérer une transformation pour accueillir des populations familiales ou de cols blancs.
Une nouvelle urbanité va donc voir le jour, en lieu et place des grues et des bungalows. C’est cette vision-là que l’architecte doit constamment garder en tête : il ne s’agit pas seulement de couler du béton mais surtout de créer des nouveaux lieux de vie.
En bordure de cette innovation apportée par l’émergence d’un tout nouveau quartier, notre parcelle avait la chance de posséder un autre grand atout : son mur en briques de plus de 70 mètres de long, en limite mitoyenne avec les parcelles donnant sur la rue Lénine. Sur ces terrains se trouve encore un Arcueil authentique, constitué de maisons, de hangars, de petits immeubles collectifs mais aussi, à certains endroits, d’une végétation quasi luxuriante. Ce mur constitue donc la ligne de partage entre le passé et le futur et permettait d’ancrer le nouvel immeuble dans une continuité historique. Nous étions peu à partager cet avis et beaucoup auraient préféré le démolir pour construire « un beau mur en parpaings tout neuf ». Heureusement, pour une fois, les méandres administratifs et la complexité de gestion des différents règlements de copropriété ont eu raison des partisans de la démolition. Il a finalement été jugé préférable de le conserver et de le rénover avec méticulosité. C’est ainsi qu’il constitue maintenant un magnifique fond de scène au jardin de l’immeuble, et profite à tous en restant visible depuis la rue grâce aux deux grands halls extérieurs donnant sur la rue Antoine Marin.
Baignoire ou douche ?
A l’automne dernier, une exposition était organisée dans l’enceinte de la Zac du Chaperon Vert, au sujet de sa propre construction originelle. Bien que ne l’ayant parcourue que très rapidement, une phrase a retenu mon attention : elle était énoncée par un journaliste, en voix off, pendant que défilaient des images d’époque, de chantier et d’emménagements. Elle disait à peu près en ces termes :
« En ces même lieux, autrefois, les taudis ne possédaient qu’un seul point d’eau pour toute la population. Aujourd’hui il y en a 480 si ma mémoire est bonne, et encore, sans compter les chasses d’eau ! ».
Ces propos datent donc d’il y a cinquante ans. La plupart d’entre nous, aujourd’hui, peinent à imaginer pouvoir vivre sans salle de bains, sans toilettes ou eau chaude ! Et pourtant, cette avancée domestique ne date que d’un demi-siècle. Ce qui nous paraît aujourd’hui comme le B-A-BA d’un logement digne de ce nom n’a commencé à être proposé à la population « civile » qu’à partir des années 50. La majorité des bâtiments plus anciens ont dû subir de gros travaux pour apporter l’eau à leurs occupants (et sans parler de l’électricité et du gaz !) et il reste de nos jours un nombre plus important qu’on ne l’imagine de personnes qui se servent du « toilette sur le palier » ou qui n’ont que l’eau froide chez eux.
Ce sont donc les grands programmes publics de construction de logements qui ont permis le développement de ce confort (y compris dans ceux tellement dénigrés construits à la hâte dans les années 60…). Aujourd’hui il va sans dire que les salles de bain et les WC sont indispensables à chaque logement. Mais j’ai pu constater sur le chantier Antoine Marin, que l’offre proposée par l’office d’HLM allait encore plus loin… peut-être du fait du re-logement des habitants de la barre de la Vache Noire. En effet, au fur et à mesure de l’attribution de logements aux locataires (et donc de la connaissance de leur âge et de leur état de santé), et alors que le chantier était encore en cours, il nous a été demandé de faire des adaptations de salles de bains : les personnes âgées pouvant difficilement utiliser leur baignoire, il fallait les remplacer par des douches. Une vingtaine de salles de bains ont ainsi dû être modifiées, au compte goutte, au grand désarroi du plombier qui ne savait plus quoi commander ni quoi installer… Plus d’une fois il a fallu arracher la baignoire déjà installée pour la remplacer par un bac à douche, avec les reprises de tuyauterie et de faïence que cela engendre…
Ainsi, en 50 ans, on est passé d’un seul point d’eau pour un quartier entier, à une installation sanitaire quasiment faite sur mesure dans les logements sociaux des bailleurs publics.
Le jardin
Sur une parcelle, on ne bâtit jamais à 100% la surface du sol. Il reste toujours des espaces dits « libres » qui permettent d’accéder aux bâtiments, d’apporter de l’air et de la lumière à tous, de gérer les vis-à-vis par rapport aux parcelles mitoyennes… Les règles d’urbanisme sont de plus en plus strictes sur la quantité d’espaces libres que doit générer toute construction sur sa parcelle, ainsi que sur leurs usages. Maintenant, la majeure partie de ces espaces libres doit permettre la plantation de verdure (et non pas uniquement de parkings ou de dalles minérales). Ainsi, rue Antoine Marin, le bâtiment étant implanté à la limite de la rue, il libère à l’arrière un grand jardin, en partie planté au-dessus du parking enterré. Quelques lopins de cet espace ont été attribués aux logements du rez-de-chaussée, et le reste du jardin, commun, est recouvert d’une pelouse, planté d’arbres et d’arbustes et possède même un arrosage automatique pour minimiser les besoins en entretien.
Contrairement à un bâtiment, pour lequel on peut considérer qu’il est achevé à la fin d’un chantier, un jardin met plusieurs années avant d’atteindre sa maturité. Ainsi, j’ai eu la surprise de voir son évolution les quelques fois où je suis retournée sur le site depuis la fin des travaux. Et ma surprise a été grande. La première a été de constater que la partie de jardin à l’extrémité de la parcelle, face au duplex situé en rez-de-jardin / rez-de-chaussée, avait été « privatisée ». Un grillage a été installé et les locataires qui n’avaient à leur disposition qu’une terrasse de 12m² ont maintenant un potager d’environ 85m² . Ce logement, je le connais bien puisqu’il a abrité le « staff » de chantier pendant des semaines ! Et il a fait parler de lui car étant le plus grand (6 pièces), il trouvait difficilement preneur. Aujourd’hui, les locataires ne sont pas prêts d’en partir !…
Cette appropriation, faite en toute transparence et légalité, a fait des émules. En effet, une autre partie de ce jardin commun a été investi, toujours avec l’aval de l’office d’HLM, par un collectif d’habitants qui en a également fait un potager. Après l’investissement dans une cuve à récupération d’eau de pluie, un arrosoir et des outils de jardinage, ce sont plus de 50 kg de pommes de terre qui ont été partagés au printemps dernier, à la plus grande joie de tous !
Les terrasses
Comme pour toutes nos opérations de logements, nous avons tenté d’offrir à chacun des appartements, suivant sa localisation et son orientation, un espace privatif extérieur (jardin, loggia, terrasse…). Cet espace est une petite extension de l’appartement : en été il peut quasiment être une pièce supplémentaire ; en hiver, même si cela est déconseillé voire interdit, il permet souvent d’entreposer quelques objets encombrants. Et quelle que soit la saison, il crée une épaisseur, un « entre-deux » entre l’intimité de son chez-soi et le monde extérieur.
Le chantier n’était pas encore terminé lorsque certains logements ont commencé à être occupés par leurs locataires. Nous avons donc assisté au manège des déménageurs, qui nous ont malheureusement fait subir quelques désagréments. Nous n’avions en effet pas imaginé, qu’étant donnée la cadence des déménagements (jusqu’à trois par jour) le mobilier allait être principalement acheminé par des échelles monte-meubles, depuis les camions postés dans la rue. Les loggias offrant les plus grandes baies vitrées des appartements, celles-ci ont vu transiter gazinières, armoires normandes, buffets et autres canapés. Nous avions mis en œuvre, en protection de ces loggias, de larges et massives tablettes préfabriquées en béton blanc poli, qui pèsent chacune environ 400 kg . Elles sont ancrées dans des murets en béton grâce à des potelets métalliques. Ces tablettes permettent de s’accouder pour profiter de la vue, de poser un verre le temps d’un apéritif dehors, ou encore de mettre le vide à distance pour ceux qui sont sujets au vertige. Mais je dois avouer qu’elles n’avaient effectivement pas été prévues pour qu’une échelle de déménageur ou un lave-linge se pose dessus ! Lors d’un déménagement, une de ces tablettes s’est donc déboîtée de son axe d’ancrage et a menacé de tomber sur le trottoir (depuis le 4ème étage !). Heureusement, l’entreprise de construction étant sur place, elle est tout de suite intervenue pour définir un périmètre de sécurité dans la rue et pour stabiliser la tablette par des cales, avant de procéder à la réparation définitive.
Et pendant ce temps, la terrasse située juste au-dessus de cette loggia se couvrait de plus en plus de pots de fleurs.
La prochaine fois, nous anticiperons donc sur le passage éventuel du mobilier par ces terrasses : c’est ce qu’on appelle le retour d’expérience ! Mais il est certain que malgré cet incident, nous ne remettrons jamais en cause le bien-fondé de ces espaces extérieurs. Il nous suffit de voir avec quel soin et quel plaisir certains des habitants s’approprient ces espaces, devenus lieux de convivialité, de jardinage, de bricolage… ou un peu tout ça à la fois.
Articles et photographies réalisés par Catherine Carpentier
Merci à toi pour ton regard, l’architecte et l’auteure de l’article, Catherine Carpentier, a vécu le chantier de l’intérieur ! et cette semaine je mets en ligne le reportage audio, l’entretien avec l’architecte Emmanuelle Colboc, j’espère qu’il t’intéressera aussi, à très bientôt j’espère !
Très intéressant, merci pour le reportage et l’observation fine de l’interaction entre architecture et modes de vie !
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